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Primes, objectifs et heures de délégation : droits des élus et obligations de l’employeur en fin d’année

La fin d’année arrive, et avec elle, le bilan des objectifs fixés, des primes à percevoir, et de la charge de travail à évaluer pour les élus du CSE. Saviez-vous que votre employeur doit obligatoirement prendre en compte vos heures de délégation dans le calcul de vos objectifs, surtout si ceux-ci sont liés à une prime variable ? La Cour de cassation a rappelé plusieurs fois ce droit fondamental des élus, confirmant récemment que ces heures de délégation doivent être prises en compte pour garantir des objectifs réalistes.
Mais qu’en est-il de votre charge de travail ? Comment aborder ce sujet essentiel dans vos discussions avec l’employeur ? Quels arguments avancer pour obtenir des conditions justes et équilibrées, adaptées à votre double rôle de salarié et de représentant du personnel ? Cet article vous éclaire sur vos droits, les obligations de l’employeur, et les leviers à activer pour une fin d’année sereine et bien préparée.

Primes, objectifs et heures de délégation

La nécessaire proratisation des objectifs au regard du nombre d’heures de délégation…

En tant que représentant du personnel disposant d’heures de délégation, vous devez, comme tout salarié, atteindre des objectifs fixés par votre hiérarchie pour pouvoir bénéficier d’une prime variable. Cependant, il est essentiel que ces objectifs soient réalistes, réalisables, et indépendants de la seule volonté de l’employeur (cela évite les clauses dites “potestatives”). Ils doivent également vous être communiqués en début d’année pour être pris en compte dans le cadre de votre activité professionnelle.

Pour que ces objectifs soient atteignables, il est indispensable de prendre en considération les moyens mis à votre disposition pour y parvenir, notamment le temps de travail dont vous disposez. Or, vos heures de délégation, en tant qu’élu du CSE ou délégué syndical, font partie intégrante de votre temps de travail. Cela signifie qu’elles doivent absolument être prises en compte dans la définition de vos objectifs, afin de les rendre réellement réalisables.

À noter : toutes vos heures de délégation doivent être prises en compte, y compris celles que vous pourriez effectuer au-delà du crédit d’heures légal ou conventionnel, si vous êtes confronté à des circonstances exceptionnelles (telles que des restructurations de grande ampleur, un conflit social ou encore un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)). Cette obligation est confirmée par le Code du travail aux articles L 2143-13 pour les délégués syndicaux et R 2314-1 pour les membres du CSE.

En cas de litige concernant la faisabilité de vos objectifs, il revient à l’employeur de démontrer que ces objectifs étaient réalisables après prise en compte de vos heures de délégation. Cette règle a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 juillet 2024 (n° 22-22.283), où il est rappelé que c’est à l’employeur d’apporter la preuve que les objectifs fixés étaient atteignables en tenant compte de vos obligations représentatives.

Le Code du travail prévoit en effet un crédit d’heures pour les élus du CSE afin qu’ils puissent exercer pleinement leurs missions. L’article L2315-7 stipule que « l’employeur laisse le temps nécessaire à l’exercice de leurs fonctions », ce qui implique une véritable liberté d’utilisation de ces heures. L’employeur est donc tenu d’adapter votre poste de travail à l’exercice de vos fonctions représentatives, sans que cela ne vous pénalise sur vos objectifs professionnels.

Enfin, concernant la fixation des objectifs pour les élus du CSE, même si la loi ne prévoit pas de dispositions spécifiques, les principes de non-discrimination s’appliquent, comme le prévoient les articles 225-1 et suivants du Code pénal, ainsi que les articles L.1132-1 et suivants du Code du travail, et L 2141-5 à L 2141-8 pour les représentants syndicaux.

Un double calcul pour une juste rémunération des élus

Depuis un arrêt rendu en 2010, la Cour de cassation (chambre sociale) a ouvert la voie à une adaptation des objectifs pour les salariés protégés qui consacrent une partie de leur temps à l’exercice de leurs mandats représentatifs. En effet, la jurisprudence (Cass, soc., 6 juillet 2010, n° 09-41.354 FS-PBR, Liziard c/ Caisse d’épargne de Bretagne et Pays de Loire) a confirmé que l’exercice d’un mandat ne peut pas avoir d’incidence défavorable sur la rémunération du salarié. Autrement dit, un salarié élu ou mandaté ne doit pas être pénalisé dans l’attribution de sa prime variable en raison de son engagement syndical ou représentatif.

  • La Cour précise : « l’exercice de mandats représentatifs ne pouvant avoir aucune incidence défavorable sur la rémunération du salarié, (celui-ci) a droit à percevoir au titre de la prime une somme calculée en deux parties : l’une fixée selon le montant moyen de la prime versée aux autres salariés pour le temps équivalent dédié aux mandats, et l’autre sur la base d’objectifs proratisés selon son temps de production. »
  • Cela signifie que, lorsqu’une prime variable est déterminée en fonction d’objectifs quantitatifs (par exemple, un certain nombre de ventes ou de prestations réalisées), le temps que le salarié consacre à ses mandats syndicaux ou représentatifs doit être neutralisé pour ne pas affecter son revenu. Voici les principes à retenir pour cette adaptation :
  • Pour le temps dédié à la production : les objectifs doivent être réduits proportionnellement au temps réellement disponible pour l’activité de production ou de prestation.
  • Pour le temps consacré aux mandats : la prime doit être calculée en prenant en compte le montant moyen versé aux autres salariés occupant des fonctions similaires, pour une durée équivalente à celle des mandats.
  • Ce double calcul garantit donc une équité salariale pour les élus et mandatés, en prenant en compte à la fois leur participation aux activités productives de l’entreprise et leur investissement dans l’exercice de leurs fonctions représentatives.

Quid de la charge de travail des élus du CSE ?

La question de la charge de travail liée aux heures de délégation est centrale pour les élus du CSE et les salariés protégés. Bien que le Code du travail ne précise pas les modalités de remplacement ou de compensation du temps consacré à la délégation, la jurisprudence a établi des règles claires pour protéger les salariés élus dans l’exercice de leurs mandats.

L’employeur doit aménager le temps de travail pour les élus

En plus de devoir adapter les objectifs professionnels, l’employeur est tenu de permettre aux salariés élus d’exercer leurs mandats représentatifs sans être pénalisés dans leur organisation de travail. La jurisprudence (Cass. crim., 5 novembre 2013, n° 12–84862 ; CA Amiens, 17 octobre 2019, n° 17/04536) a ainsi jugé que ne pas aménager le temps de travail de manière à permettre au salarié de prendre ses heures de délégation constitue un délit d’entrave. Ce délit est caractérisé lorsque le salarié n’a pas pu disposer du temps nécessaire à l’exercice de ses fonctions représentatives.

Adapter l’organisation du travail pour éviter la surcharge

Ces décisions judiciaires convergent vers l’idée que l’employeur a une obligation d’adaptation de l’organisation du travail et des postes aux mandats exercés. Cela va de pair avec l’obligation générale de sécurité et de prévention des risques professionnels figurant aux articles L.4121-1 et suivants du Code du travail.

Concrètement, l’employeur doit prendre en compte la charge de travail globale, y compris celle liée à l’exercice des mandats, et adapter l’organisation du poste en conséquence. Il s’agit d’éviter qu’un salarié élu ou mandaté se retrouve avec une surcharge de travail en raison d’une non-prise en compte de ses heures de délégation. Cela inclut également l’aménagement des tâches et des objectifs individuels pour que le temps consacré aux mandats n’entrave pas sa performance au travail.

Quand et comment aborder le sujet avec votre employeur ?

En tant qu’élus du CSE, plusieurs moments et outils sont à votre disposition pour amener votre employeur à respecter ses obligations, notamment la prise en compte du temps de délégation et la charge de travail. Voici quelques leviers stratégiques à utiliser.

Proposer une modification du règlement intérieur (RI) du CSE

Le règlement intérieur (RI) du CSE constitue un cadre de référence. Les élus peuvent profiter de sa rédaction ou de sa mise à jour pour rappeler à l’employeur ses obligations légales concernant la prise en compte du temps de délégation.

Bien que de nombreux RI incluent des articles sur les heures de délégation, ceux-ci se limitent souvent à encadrer leur utilisation (rappel des dispositions légales, délai de prévenance, bons de délégation…). Peu de règlements intérieurs abordent les mesures pratiques que l’employeur doit prendre pour permettre aux élus de prendre leurs heures pendant le temps de travail, ou pour adapter leur charge de travail.

Il est donc judicieux de soumettre des propositions d’amendement au RI, incluant des dispositions telles que :

  • Possibilité de remplacement pendant les heures de délégation ?
  • À défaut, heures supplémentaires pour les élus ou pour les collègues reprenant les tâches pendant les heures de délégation ?
  • Adaptation des objectifs lors de l’entretien annuel, en tenant compte du temps consacré aux mandats.

Ces modifications permettraient de clarifier les droits des élus et de garantir une meilleure prise en compte de leurs contraintes liées à l’exercice de leur mandat.

Utiliser l’entretien de début de mandat ou l’entretien annuel d’évaluation

Les élus peuvent également utiliser plusieurs entretiens, l’entretien de début de mandat ou l’entretien annuel d’évaluation, pour aborder ce sujet. Conformément à l’article L2141-5 al. 3 du Code du travail, tout représentant du personnel peut demander un entretien de début de mandat. Ce rendez-vous est l’occasion d’évoquer les mesures à mettre en place pour concilier les exigences professionnelles et celles liées au mandat, notamment la prise en compte des heures de délégation, des réunions, et des formations syndicales dans :

  • La fixation des objectifs annuels (neutralisation des heures de délégation dans le calcul des primes variables) ;
  • L’aménagement des fonctions et de la charge de travail.

De plus, lors de l’entretien annuel d’évaluation, présent dans la majorité des entreprises, il est possible de demander des précisions sur la prise en compte des heures de délégation dans l’évaluation globale. Un arrêt récent a confirmé que l’employeur devait intégrer un système d’équivalence pour les élus (TJ Bobigny, 23 février 2023, n°22/10288). C’est donc un moment stratégique pour s’assurer que votre employeur respecte cette obligation.

Que faire en cas de refus de révision des objectifs ?

Si l’employeur refuse de prendre en compte vos heures de délégation pour adapter vos objectifs, vous disposez de plusieurs recours. Vous pouvez saisir :

  • L’inspection du travail, au titre de l’article L.2312-5 du Code du travail ;
  • Le Défenseur des droits (via le site officiel https://www.defenseurdesdroits.fr/) ;
  • Le Conseil de prud’hommes ou le tribunal correctionnel.

Devant le Conseil de prud’hommes ou les juridictions pénales, il est possible d’utiliser la méthode dite « Clerc » (Cass. soc., 24 octobre 2012, n°11-12295). Celle-ci permet aux salariés de comparer leur situation (rémunération, carrière) avec d’autres salariés ayant des fonctions et une ancienneté comparables. En cas de litige pour discrimination salariale, les juges peuvent autoriser la communication des bulletins de paie d’autres salariés pour établir des comparaisons objectives.

Dans tous les cas, il est fortement recommandé de consulter un avocat spécialisé pour définir la meilleure stratégie à adopter et être accompagné dans les procédures.

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