La garantie d’évolution salariale des représentants du personnel
La Cour de cassation vient de juger que la garantie d’évolution des rémunérations des représentants du personnel qui disposent d’un nombre d’heures de délégation dépassant sur l’année 30 % de leur durée du travail, est conforme à la Constitution. Comment chaque élu peut-il vérifier qu’il en a bénéficié ? Quels sont les représentants du personnel concernés ? En quoi consiste cette garantie et comment vérifier qu’elle est appliquée pour chacun des élus, délégués ou représentants concernés ?
Que dit le texte de l’article L.2141-5-1 du Code du travail ?
« En l’absence d’accord collectif de branche ou d’entreprise déterminant des garanties d’évolution de la rémunération des salariés mentionnés aux 1° à 7° de l’article L. 2411-1 et aux articles L. 2142-1-1 et L. 2411-2 au moins aussi favorables que celles mentionnées au présent article, ces salariés, lorsque le nombre d’heures de délégation dont ils disposent sur l’année dépasse 30 % de la durée de travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement, bénéficient d’une évolution de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, au moins égale, sur l’ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise. »
Quel est l’objectif de cette garantie ?
La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social dite loi « Rebsamen » du nom du Ministre du Travail de l’époque, a introduit dans le Code du travail plusieurs dispositifs de valorisation des parcours syndicaux.
L’objectif de cette loi visait à éviter la mise en place de discriminations salariales dans la carrière des salariés investis d’un mandat représentatif du personnel ou d’un mandat syndical, notamment sur son évolution salariale.
C’est en ce sens que l’article L2141-5-1 du code du travail prévoit une garantie d’évolution de rémunération pour les représentants du personnel et syndicaux disposant d’un crédit d’heures important (environ 40 heures par mois sur la base d’un temps plein), sur le modèle de la garantie salariale mise en place pour les femmes à l’issue de leur congé maternité (figurant au sein de l’article L. 1225-26 du code du travail).
Il ressort des débats parlementaires (ici et ici) que ce dispositif a pour objet de protéger ceux qui sont le plus investis dans leur mandat :
- M. le rapporteur. L’objectif visé à l’article 4 n’est pas de couvrir tous les salariés exerçant des mandats syndicaux ou électifs mais de cibler ceux dont l’engagement est tel qu’ils se sont retirés de l’entreprise. C’est parce qu’ils ont été plus longuement éloignés de leur poste de travail qu’ils sont plus pénalisés que les autres.
- F. Rebsamen : « Le quatrième objectif consiste à reconnaître, valoriser et favoriser l’engagement de ceux qui font vivre le dialogue social dans l’entreprise. Il s’agit d’apporter une réponse concrète aux salariés exerçant des mandats lourds et consacrant une grande partie de leur temps de travail à des fonctions électives ou syndicales.
L’engagement de certains au service des autres ne doit pas constituer un frein à leur carrière et doit au contraire être reconnu, favorisé et valorisé. Les salariés ne doivent pas être pénalisés en raison d’une moindre présence à leur poste de travail. C’est pourquoi le projet de loi prévoit un mécanisme garantissant aux élus dont le mandat exige un volume horaire important une progression salariale identique à celle de leurs collègues. Il ne s’agit ni de l’octroi d’un privilège à ces élus ni de la suspicion qu’ils font l’objet d’une discrimination massive de la part des employeurs, mais comme ils sont moins présents à leur poste de travail, leur supérieur leur accorde moins souvent des augmentations individuelles, sans parler des cas de discrimination manifeste. Nous réparons ainsi une injustice. »
L’article L2141-5-1 du Code du travail s’applique à défaut d’accord, mais sous réserve que l’accord conclu soit au moins aussi favorable que la loi. Un accord moins-disant devrait donc être écarté. Attention, un accord mieux-disant ne s’appliquerait qu’« à compter du premier mandat acquis par le salarié postérieurement à l’accord » si l’on suit le raisonnement de la Cour de cassation.
(Cass. soc., 20 juin 2018, n° 17-12.491).
Quels mandats prendre en compte et comment déterminer les 30 % d’heures de délégation de sa durée du travail ?
Le seuil nécessaire pour bénéficier de la garantie d’évolution salariale peut être atteint avec un ou plusieurs mandats.
En l’espèce, dans l’affaire soumise aux juges suprêmes, un salarié est titulaire de deux mandats électifs pendant plus de 3 ans (élu au CHSCT et en tant que délégué du personnel) et d’un mandat désignatif (représentant syndical au comité d’établissement).
L’article L. 2141-5-1 vise les « salariés mentionnés aux 1° à 7° de l’article L. 2411-1 et aux articles L. 2142-1-1 et L. 2411-2 ». En tenant compte de l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 ayant mis en place les CSE, les mandats désignatifs et électifs concernés sont les suivants : délégués syndicaux, élus titulaires du CSE, représentants de proximité, représentants syndicaux au CSE, élus titulaires du CSE interentreprises, membres du groupe spécial de négociation (GSN) et membres du comité d’entreprise européen, membres du GSN et représentants au comité de la société européenne, représentants de la section syndicale.
Le législateur a entendu prendre en compte « le nombre d’heures de délégation » dont disposent les représentants du personnel sur l’année, à savoir le crédit d’heures annuel dont ils bénéficient en cumulant les heures de délégation si les salariés sont titulaires de plusieurs mandats.
Au regard de la lettre du texte, il y a lieu de tenir compte des heures de délégation « théoriques », peu important qu’elles aient ou non été effectivement utilisées par le salarié.
Ainsi, pour un salarié à temps complet, sur la base des 1 607 heures annuelles légales, 30 % de cette durée correspond à 482 heures, soit 40 heures mensuelles de délégation.
Le code reste cependant muet sur le décompte des 30% pour déterminer s’il faut prendre en compte ou pas l’accroissement des heures de délégation qui serait issu d’une mutualisation entre élus du CSE. Il fait mention des heures dont chaque représentant du personnel « dispose », ce qui à notre sens inclut celles qui peuvent être issues du don d’un autre élu du CSE.
Comment s’apprécie cette garantie ?
L’application de cette garantie s’apprécie au terme des mandats et non chaque année, selon les principes applicables au retour des salariées après leur congé de maternité.
L’évolution de rémunération doit être au moins égale, « sur l’ensemble de la durée du mandat », aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles.
Concernant les modalités de calcul de cette garantie de rémunération, la circulaire du 19 avril 2007 relative à l’application de la loi du 23 mars 2006 sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes concernant le rattrapage salarial dû aux salariées en retour de congé maternité semble pouvoir s’appliquer à la garantie salariale des représentants du personnel, au vu des débats parlementaires (ici).
Dans cette circulaire, l’administration définit notamment la notion de rémunération et de catégorie à prendre en compte (Circ. min. du 19 avril 2007, fiche 3) :
- « Par rémunération, il faut entendre le salaire de base, les avantages en nature et en espèces et tout accessoire de salaire payé directement ou indirectement par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier. Les mesures de participation, d’intéressement ou de distribution d’actions gratuites ou d’options sur actions ne sont pas comprises.
Il convient notamment de prendre en compte toute augmentation objective, pérenne ou exceptionnelle dont la personne salariée aurait pu bénéficier si elle était restée à son poste de travail.
Sont exclues de la base de calcul :
– les augmentations liées à une promotion entraînant un changement de catégorie ;
– les primes liées à une sujétion particulière qui ne concerne pas la personne salariée (salissures, travail de nuit, du dimanche…) ;
– les primes exceptionnelles liées à la personne salariée (mariage, ancienneté, médaille du travail…). »
- « Le législateur ne définit pas la notion de catégorie professionnelle. La détermination de cette notion est fonction de la taille et de la structure de l’entreprise. Ainsi :
– il y a lieu de comprendre par salarié de la même catégorie les salariés relevant du même coefficient dans la classification applicable à l’entreprise pour le même type d’emploi (une subdivision supplémentaire par métiers est possible lorsque les coefficients comprennent des emplois au contenu différent) ;
– dans l’hypothèse où il n’y aurait pas au moins deux personnes répondant à ces conditions (outre la personne salariée concernée), il conviendrait de prendre en compte les salariés relevant du même niveau dans la classification ;
– dans l’hypothèse où il n’y aurait pas au moins deux personnes de même niveau, il conviendrait de prendre en compte la catégorie socioprofessionnelle du salarié en congé de maternité ou d’adoption (ouvriers, employés, professions intermédiaires, cadres) ;
– s’il n’y a pas au moins 2 salariés de la même catégorie ainsi entendue, il y a lieu de se référer à la moyenne des augmentations individuelles dans l’entreprise… »
Conformément à l’article L 2141-5-1 du Code du travail, s’il a été conclu un accord collectif de branche ou d’entreprise déterminant des garanties d’évolution de la rémunération des représentants du personnel et syndicaux au moins aussi favorables, ce sont les mesures décidées dans le cadre de cet accord qui s’appliquent pour les mandats postérieurs à la date d’application de l’accord.
A l’heure où de nombreux mandats d’élus arrivent à leur terme et que de nombreuses entreprises ont accordé des augmentations générales pour compenser toute ou partie de l’augmentation du coût de la vie, chaque représentant du personnel disposant de plus de 40 heures de délégation par mois est légitime à vérifier qu’il a bien bénéficié d’augmentations (générales et individuelles) de rémunération au moins équivalente à celle appliquée à ses collègues auxquels il peut se comparer sur la période du mandat écoulé.
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