L’expertise du CSE sur l’accord de participation est 100% à la charge de l’employeur
L’expertise décidée par le CSE sur le contrôle de la participation est à la charge de l’employeur : pourquoi est-ce crucial ? Quels changements à venir sur la participation ?
Un Accord National Interprofessionnel (ANI) a été conclu le 10 février dernier dans le but de faciliter le développement des dispositifs de partage de la valeur. Le contrôle par l’expert-comptable du CSE de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise, demeurait dans un flou juridique quant à son financement à 100% par l’employeur.
Cette question a été tranchée le 5 avril 2023 par la chambre sociale de la Cour de cassation et elle est favorable aux CSE. Cet arrêt marque la fin des incertitudes issues de l’ordonnance « Macron » (n°2017-1386 du 22 septembre 2017), sur le financement de l’expertise sur le calcul et la répartition de la réserve spéciale de participation.
Profitons de cette actualité pour rappeler le cadre juridique de la participation et évoquer les évolutions attendues.
Enfin, l’intérêt de recourir à une telle expertise pour les élus de CSE et les salariés qu’ils représentent doit être mis en exergue dans une actualité marquée par des débats et projets de réforme sur la fraude fiscale, véritable serpent de mer depuis de nombreuses années…
Rappel du cadre juridique de la participation aux résultats de l’entreprise
Rappelons que celle ci est obligatoire dans les entreprises ou les UES d’au moins 50 salariés.
Art. L. 3322-1 du Code du travail : “La participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l’entreprise.
Elle prend la forme d’une participation financière à effet différé, calculée en fonction du bénéfice net de l’entreprise, constituant la réserve spéciale de participation.“
La Réserve Spéciale de Participation (RSP) est calculée sur la base d’une formule qui n’a jamais été remaniée depuis sa mise en place en 1967, sous l’impulsion du Général De Gaulle. 5 millions de salariés bénéficient aujourd’hui de ce mécanisme. Il vise à intéresser de manière commune les actionnaires, les dirigeants et les salariés dans la réalisation de bénéfices dont une partie est redistribuée aux salariés selon plusieurs modalités négociables.
La formule de calcul légal, qui peut être négociée plus favorablement pour les salariés est la suivante : RSP = ½ (bénéfice -5% capitaux propres) x (Masse Salariale / Valeur Ajoutée).
Dans les entreprises où est constituée une RSP, l’employeur doit remettre au CSE, 6 mois après la clôture de chaque exercice, un rapport relatif à l’accord de participation présentant notamment les éléments servant de base au calcul de son montant. (art. D 3323-13). Cela doit être fait au cours d’une réunion spécifique ou à l’occasion d’un point spécifique de l’ordre du jour (art. D.3323-14).
La technicité des données comptables intervenant dans la formule de calcul peut être source d’erreurs. Mais ces erreurs peuvent être relevées par un expert-comptable quand un CSE décide d’y recourir.
Avant l’ordonnance Macron de 2017, le CE pouvait déjà diligenter une expertise-comptable relative au contrôle de la participation. Ce droit figurait au sein des dispositions spécifiques de l’article D.3323-14 du Code du travail. Elles renvoyaient aux dispositions plus générales de l’article L.2325-35 du Code du travail relatif au recours à un expert-comptable rémunéré par l’employeur, notamment pour la consultation relative à la situation financière de l’entreprise.
L’incertitude née de la réforme de l’ordonnance Macron de 2017
Si le principe du recours à l’expertise a été maintenu pour les CSE, la disposition sur son financement (l’article L.2325-35) a été abrogée par la réforme ayant pris effet au 1er janvier 2018, mais le décret (article D.3323-14) n’a pas pour autant été modifié. Il fait donc référence à un article qui n’existe plus !
Dès lors, une incertitude demeurait sur la question de la prise en charge de l’expertise du CSE pour l’examen du rapport annuel relatif à la participation.
en effet, l’ordonnance Macron de 2017 a limité fortement le financement intégral par l’employeur des expertises à la disposition des CSE. Le principe est devenu (sauf accord collectif plus favorable) celui du cofinancement, le CSE devant prendre en charge son expert sur son budget de fonctionnement à hauteur de 20 % de ses honoraires. Seules quelques exceptions subsistent pour lesquelles l’employeur paie la totalité du coût des expertises (C. trav., art. L. 2315-80) :
- Des experts-comptables dans le cadre des consultations sur la situation économique et financière de l’entreprise, sur la politique sociale et les conditions de travail, et sur un PSE consécutif à un « grand » licenciement économique collectif (plus de 10 salariés sur moins de 30 jours) ;
- Des experts habilités en cas de risque grave ;
- Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, en vue de préparer la négociation sur l’égalité professionnelle en l’absence de tout indicateur relatif à celle-ci dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE)
A SAVOIR : l’employeur doit prendre en charge les expertises cofinancées lorsque le budget de fonctionnement du CSE est insuffisant pour couvrir le coût de l’expertise à la condition que le CSE n’ait pas opéré un transfert d’excédent annuel vers le budget ASC au cours des trois années précédentes (art. L.2315-80 3°).
Une clarification bienvenue
L’arrêt n° 21-23.427 de la chambre sociale de la Cour de cassation du 5 avril 2023 nous éclaire.
Dans cette affaire, le Tribunal judiciaire de Nanterre donne raison à l’employeur qui demandait la prise en charge exclusive de l’expertise aux frais du CSE pour les motifs suivants :
- D’une part, l’article D. 3323-14 renvoie à un article désormais abrogé et il n’existe donc aucun support textuel à l’obligation de prise en charge, intégrale ou partielle, de l’expertise par l’employeur ;
- D’autre part, la procédure d’information concerne la participation et aucune disposition légale en vigueur ne prévoit le financement par l’employeur d’une expertise dans le cadre d’une simple information du CSE, ce financement étant réservé à certaines informations-consultations.
Mais la Cour de cassation censure le raisonnement du tribunal judiciaire. Elle rappelle tout d’abord la formule de l’article L.2315-80 du Code du travail qui répartit les consultations demeurant à la charge intégrale de l’employeur, incluant notamment celle relative à a situation économique et financière de l’entreprise, et celles faisant l’objet d’un co-financement entre l’employeur et le CSE.
Elle note ensuite que, même si l’article L.2325-35 a été abrogé, celui-ci figurait dans une sous-section nommée « experts rémunérés par l’entreprise ». Ce mode de financement était donc clair et les rédacteurs du décret du 29 décembre 2017 ont maintenu cette référence. Il s’en déduit qu’ils ont donc eu l’intention de laisser cette expertise aux frais de l’employeur.
Elle établit ensuite un lien entre la consultation du CSE relative au contrôle de la participation et l’information-consultation récurrente relative à la situation économique et financière de l’entreprise prévue à l’article L.2315-88. Elle conclut alors que l’examen de la participation est à la charge de l’employeur, conformément à l’article L.2315-80.
NB : Même si la Cour de cassation relie l’expertise sur le contrôle de la participation à celle de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise, l’expertise demeure sur un article spécifique dans un cadre bien précis (une réunion distincte ou une mention spéciale à l’ordre du jour du CSE) sans aucune information figurant dans la BDESE qui est le support des consultations récurrentes. Seul le délai de présentation du rapport est en lien avec la date butoir pour l’approbation des comptes annuels. Cela pourrait expliquer la formule de la Cour de cassation qui considère que cette expertise « participe de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise ».
Les intérêts « cachés » de l’expertise comptable sur le calcul de la formule de la Réserve Spéciale de Participation
Durant l’été dernier, plusieurs affaires ont mis en lumière le rôle des CSE dans des cas de fraude fiscale d’entreprises. Notre newsletter du 24 août 2022 les avait détaillées (voir ici)
L’une concernait McDonald’s, qui a accepté de payer une amende de 1,2 milliard d’euros à l’État Français. Le point commun de ces affaires permettant d’instruire des enquêtes judiciaires : l’expertise comptable déclenchée par le CE. Ces affaires montrent comment chaque CSE a exercé avec conscience et efficacité son rôle de vigie dans l’intérêt collectif des salariés. Car, en définitive, c’est le calcul des marges des entreprises qui est en jeu, et l’incidence de l’optimisation glisse parfois vers l’évasion fiscale… Autant de paramètres qui affectent la capacité de recrutement, d’augmentation des salaires, de versement d’un intéressement et/ou d’une participation.
La France est un des rares pays au monde à disposer d’un régime légal de participation pour les entreprises de plus de 50 salariés ayant pour assiette de base le bénéfice fiscal des entreprises. Le seul qui soit obligatoire avec des moyens de contrôle par une instance représentative du personnel qui dispose de son propre expert-comptable.
NB : L’article L 3324-2 du Code de travail autorise la négociation d’accords de participation dérogatoires retenant une formule de calcul de la réserve spéciale de participation améliorant la formule légale pour les salariés. Le recours à un expert-comptable peut s’avérer crucial dans ce cadre pour limiter l’impact sinon neutraliser certains « prix de transfert ».
Le peu d’espoir suscité par l’ANI signé…
Les objectifs affichés de l’ANI sur le partage de la valeur sont de « rendre plus accessibles » les dispositifs d’épargne salariale et de « poursuivre la simplification des dispositifs d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié » tout en améliorant leur « attractivité ».
Qu’en est-il du dispositif de la participation aux résultats de l’entreprise ?
Rien de très spectaculaire et l’occasion est manquée de revoir la veille formule de la RSP (cf. supra) qui réduit à néant la participation dans les entreprises fortement capitalisées (gros montant des capitaux propres dont on déduit 5%) et dans celles où les « prix de transfert » et les différents crédits d’impôts réduisent à peau de chagrin le bénéfice fiscal qui aurait pu être remplacé par le bénéfice comptable.
Pas de remise en cause non plus de l’article L 3326-1 du code du travail qui prévoit que le calcul de la RSP, certifié par un commissaire aux comptes, ne peut pas être mis remis en cause, même en cas de fraude.
Voici donc les dispositions sur la participation que contient l’ANI signé par toutes les organisations patronales et syndicales hormis la CGT :
- L’une des deux seules dispositions normatives prévoit que les entreprises entre 11 et 50 salariés devront mettre en place, avant le 1er janvier 2025, un dispositif légal de partage de la valeur dès lors qu’elles réalisent un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives. Les employeurs pourront choisir entre une prime de participation, d’intéressement, de partage de la valeur voire un abondement à un plan d’épargne salariale (PEE, PEI ou PER). Les sommes versées bénéficieront du régime social et fiscal de la participation.
Les employeurs pourront s’appuyer sur un accord de branche (négociations à ouvrir avant le 30 juin 2024) ou négocier un accord dans l’entreprise ou opter pour une décision unilatérale avec la possibilité de mettre en place une dérogation au calcul de la formule légale de participation pour aboutir à un « résultat inférieur ». Cette disposition sera expérimentée sur 5 ans et fera l’objet d’un bilan. - Les partenaires sociaux demandent au législateur de supprimer le report de trois ans de l’obligation de mettre en place un accord de participation en présence d’un accord d’intéressement. Mais le déclenchement de la mise en place obligatoire de la participation reste conditionné à un effectif de l’entreprise supérieur à 50 salariés chaque année sur cinq ans consécutifs…
- Possibilité de verser des avances sur la prime de participation. Aujourd’hui, l’intéressement est le seul dispositif qui peut faire l’objet d’avances. L’accord vise à sécuriser cette possibilité et l’étendre à la participation « afin de soutenir le pouvoir d’achat des salariés » (ANI, art. 12). L’épargne salariale peut donc être perçue comme un palliatif au manque de revalorisations salariales.
- Trois nouveaux cas de déblocage de la participation verraient le jour.
– rénovation énergétique de la résidence principale,
– dépenses engagées en tant que proche aidant,
– acquisition d’un véhicule « propre », hybride ou électrique, neuf ou d’occasion.
Nombre des mesures inscrites ne sont que des recommandations, le gouvernement a indiqué qu’il transposera le texte négocié, certains députés (Louis Marguerite de Renaissance et Éva Sas d’EELV) ont émis le souhait le 12 avril dans le cadre d’une mission d’information de l’améliorer par le travail législatif… A suivre donc !
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