Les droits à congés payés améliorés sur la base du droit européen
La chambre sociale de la Cour de cassation vient de frapper un grand coup avec cinq arrêts en date du 13 septembre dernier qui tombent à point, à la sortie des congés payés d’été !
Cette nouvelle jurisprudence va permettre à des salariés qui ont dû s’absenter de l’entreprise ces dernières années pour maladie, accident du travail ou congé parental d’éducation d’acquérir ou de reporter des droits à congés qu’ils pensaient avoir perdus…
C’est un sujet qui s’impose pour le prochain ordre du jour du CSE (si ce n’est pas déjà fait) ; Cet article contient un « bonus » avec quelques propositions de questions à poser à votre employeur pour la réunion à venir.
Le droit français écarté car moins-disant que le droit européen !
La Cour l’indique clairement dans son Communiqué relatif aux décisions rendues par la chambre sociale le 13 septembre 2023 : elle « met en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congé payé. Elle garantit ainsi une meilleure effectivité des droits des salariés à leur congé payé. […] La Cour de cassation, […] écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne.
Les élections européennes qui s’annoncent en 2024 pourraient bien intéresser les salariés… car ces arrêts illustrent l’amélioration des droits à congés payés des salariés français par le droit de l’Union Européenne dans quatre situations :
- Les salariés malades acquièrent des congés payés pendant leur arrêt de travail ;
- En cas d’accident du travail les droits à congés ne sont plus limités à un an d’arrêt de travail ;
- Les congés payés acquis et non pris à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail ;
- La prescription du droit aux indemnités de congés payés ne débute qu’à la date à laquelle l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ses droits à congé.
Revenons sur chacune des améliorations apportées au droit effectif aux congés payés.
Durant un arrêt pour maladie ou accident du travail, un salarié malade acquiert des jours de congé
La chambre sociale de la Cour de cassation par trois arrêts rendus le 13 septembre 2023 juge que les salariés arrêtés pour maladie, accident du travail ou maladie professionnelle bénéficient de l’acquisition de droits à congés payés comme s’ils avaient travaillé.
Il faut noter que depuis 2013, la Cour de cassation a recommandé, à quatre reprises, dans ses rapports annuels, une intervention du législateur pour mettre le droit français en conformité avec le droit européen en matière de droit à congés payés « afin d’éviter une action en manquement contre la France et des actions en responsabilité contre l’État du fait d’une mise en œuvre défectueuse de la directive », ce qui n’a pas manqué d’intervenir cet été avec un arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles (arrêt du 17 juillet 2023, nº 22VE00442).
Malgré cela, jusqu’à présent elle n’avait jamais changé sa jurisprudence en la matière.
C’est chose faite avec 3 arrêts rendus le même jour dans lesquels elle s’appuie sur l’effet direct de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le droit au repos, pour écarter les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne dont chaque salarié peut donc revendiquer l’application directe.
Tout arrêt de travail pour maladie ouvre droit à congés payés…
Selon l’article L. 3143-3 du code du travail, un salarié atteint d’une maladie non professionnelle n’acquiert pas de jours de congé payé pendant le temps de son arrêt de travail.
Mais selon l’article 7§1 de la directive nº 2003/88/CE tous les salariés doivent bénéficier d’un minimum de quatre semaines de congé payé annuel. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère que ce droit « ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État » (CJCE, 20 janv. 2009, nº C-350/06 ; CJUE, 24 janv. 2012, nº C-282/10), et doit donc s’appliquer aussi au salarié qui ne peut pas travailler en raison de son état de santé.
La Cour de cassation n’appliquait pas cette directive dans les litiges entre employeur et salariés car elle est dépourvue d’effet direct horizontal. Le législateur n’intervenant pas malgré les appels du pied des hauts magistrats, le Code du travail français restait ainsi pleinement applicable alors qu’il n’était pas conforme au droit européen.
Mais en 2018, la CJUE a reconnu l’application de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux (droit à une période annuelle de congés payés) dans les litiges entre employeurs et salariés. Elle a ainsi jugé que les juridictions nationales doivent laisser la réglementation nationale en cause inappliquée en cas de non-conformité avec cet article (CJUE, 6 nov. 2018, nº C-619/16).
C’est le raisonnement qu’adopte la Haute Cour dans trois arrêts du 13 septembre dernier tel qu’indiqué dans son communiqué : « La Cour de cassation, eu égard à l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le droit au repos, écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne. »
… y compris après un an d’arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle
L’article L. 3141-5 du Code du travail prévoit dans cette situation que les périodes de suspension du contrat de travail correspondantes ne sont assimilées à du temps de travail effectif pour le calcul des droits à congés que pour une durée ininterrompue d’un an. Après la première année d’arrêt de travail, les salariés victimes d’accident de travail ou de maladie professionnelle n’acquièrent plus de droits à congés payés.
Ici aussi, le droit européen tel qu’interprété par la CJUE est plus favorable aux salariés que le droit français : le droit à congés payés s’applique sur l’intégralité de l’arrêt de travail sans distinction entre les salariés en situation de travail effectif, arrêt maladie ou accident de travail.
Les juges de la chambre sociale de la Cour de cassation appliquent le même raisonnement que celui mis en avant pour les arrêts maladie au visa de l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux : tenant compte de l’effet direct horizontal que lui a reconnu la CJUE, les salariés qui se trouvent en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle pourront acquérir des congés payés pendant toute la durée de leur absence sans être limités à un an.
A noter : Comme le précise le communiqué de la Cour de cassation, cette solution s’applique aux 5 semaines de congés payés et aux éventuels congés supplémentaires prévus par la convention collective ou un accord d’entreprise !
Les congés payés acquis et non pris à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail
La Cour de cassation considérait jusqu’à présent que le ou la salarié(e) qui était parti(e) en congé parental sans poser l’intégralité des congés payés acquis ne pouvait prétendre, à son retour, à une indemnité de congés (Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 01-46.314).
Ici encore la CJUE appliquant la directive 2010/18/UE du 8 mars 2010 juge le droit communautaire plus protecteur en garantissant le maintien des droits à congés acquis et non pris jusqu’à la fin du congé parental.
La Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence européenne en jugeant, dans un nouvel arrêt du 13 septembre 2023, que « lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année de référence en raison de l’exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail ».
Il faut noter que le Code du travail a récemment évolué dans le même sens avec la loi nº 2023-171 du 9 mars 2023 adaptant diverses dispositions du droit français au droit de l’Union européenne. Un nouvel alinéa ajouté à l’article L. 1225-54 dispose que « le salarié conserve le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquis avant le début du congé », y compris les congés payés.
La durée de la prescription du droit aux indemnités de congés payés
La dernière affaire sur laquelle s’est positionnée la Cour de cassation porte sur la détermination du point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés en cas de litige.
Les congés payés se rapportant aux salaires, le délai de prescription est de 3 ans (art. L.3245-1 du code du travail). Jusqu’alors, la Cour de cassation faisait courir ce délai à compter de la fin de la période légale (1er juin au 31 mai) ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient dû être pris (Cass. soc., 14 nov. 2013, nº 12-17.409).
Mais quid de la date du début du délai de prescription quand le salarié était dans l’impossibilité d’exercer ses droits à congés ?
Dans l’affaire jugée, il était question d’une enseignante dont la relation de travail d’une durée de 10 ans avait été requalifiée en contrat de travail et pour laquelle cette dernière demandait une indemnité pour les congés qu’elle n’avait pu prendre durant cette période.
La Cour de cassation, s’appuie ici encore sur le droit européen interprété par la CJUE (22 sept. 2022, n° C-120/21) qui considère que le délai de prescription de l’indemnité de congés payés de 3 ans ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.
A noter : c’est à l’employeur de « justifier qu’il a accompli toutes les diligences qui lui incombaient légalement » pour permettre au salarié de prendre les congés auxquels il a droit (Cass. soc., 21 sept. 2017, nº 16-18.898).
Que va-t-il se passer dans chaque entreprise et que peuvent faire les élus de CSE ?
Le gouvernement n’a plus le choix : il va devoir mettre enfin le Code du travail en conformité avec le droit européen en matière de droits à congés payés. Tant qu’il ne l’aura pas fait, une source de contentieux important existera pour les employeurs qui n’auraient pas vu leur attention portée sur l’application directe du droit européen plus favorable que le droit français pour les droits à congés des travailleurs français !
Le secrétaire du CSE pourrait ainsi utilement demander que le sujet suivant soit porté à l’ordre du jour de la prochaine réunion de l’instance : « modalités de mise en place de l’effectivité des droits à congés payés en cas d’absence du salarié pour maladie, accident du travail ou congé parental d’éducation définie dans les solutions arrêtées par la chambre sociale de la Cour de cassation dans 5 arrêts du 13 septembre 2023, pour les années passées et à venir »
Parmi les questions qui pourraient être posées en séance, nous vous en proposons quelques-unes :
- Comment la direction va-t-elle appliquer les nouvelles règles arrêtées par la Cour de cassation dans l’établissement des bulletins de salaire ?
– Pour chaque situation de suspension du contrat de travail concernée
-Pour les droits des salariés à compter du 13 septembre 2023
– Pour les droits des salariés antérieurs au 13 septembre 2023 - Une négociation collective ou individuelle est-elle envisageable pour déterminer les modalités de régularisation des droits des salariés : possibilité de versement d’indemnités de congés et/ou d’attribution de jours de congés à prendre sur un délai à déterminer ? possibilité de placement sur un compte épargne temps (pour la 5ème semaine de congé payé), voire de passerelle vers un plan d’épargne retraite ?
- Quel coût global (estimé) cela représentera-t-il par l’entreprise ? [S’il n’a pas été estimé, quand le sera-t-il ?]
- Comment ce coût sera-t-il traduit dans les comptes ?
- Quel impact est envisagé pour les comptes 2023 ?
- Quelle information des salariés est prévue par la direction sur ces questions et quand ?
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