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L’IA en entreprise : Pourquoi le CSE ne peut être ignoré

L’intelligence artificielle (IA) transforme rapidement le monde du travail suscitant des inquiétudes sur les suppressions et modifications des emplois, soulevant des questions juridiques complexes, notamment dans la gestion des ressources humaines. Une décision récente du Tribunal judiciaire de Nanterre met en lumière l’importance de consulter le Comité Social et Économique (CSE) avant de déployer des outils d’IA pour prendre en compte le nécessaire accompagnement des salariés.
Cette décision peut vous servir d’appui pour comprendre et affirmer vos droits en tant que représentants du personnel et faire du CSE un acteur incontournable du déploiement de l’IA dans votre entreprise.

L’IA au travail : un changement important qui nécessite une consultation

L’intégration de l’IA dans les entreprises n’est pas seulement une question technique ; elle touche directement aux conditions de travail des salariés à travers l’augmentation recherchée de la productivité et l’automatisation de multiples tâches. Elle questionnaire aussi les obligations des employeurs.

Le CSE joue un rôle clé dans ce processus, car il doit être informé et consulté sur toute introduction de nouvelles technologies qui pourrait affecter l’organisation et les conditions de travail.

Pourquoi le CSE doit-il être consulté ?

Conformément à l’ article L.2312-8 du Code du travail, le CSE doit être consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise. Et plus particulièrement sur « L’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail »

Lorsque l’on évoque « l’introduction de nouvelles technologies », nous pensons aujourd’hui aux nombreuses possibilités d’utilisation de l’IA dans ses multiples modalités d’application au monde du travail.

Cette consultation est essentielle pour explorer les modifications envisagées de ces outils dans le volume ou la structure des effectifs (risque de suppressions de tâches, voire de postes avec une productivité accrue, risque d’appauvrissement et/ou d’évolution importante de certaines fonctions, développement de nouveaux produits/services…) et les mesures que l’employeur compte mettre en place pour accompagner le changement (formations notamment, mode pilote avec test puis bilan avant généralisation…). Elle vise également à garantir que les droits des salariés sont respectés (vie privée, gestion RH [recrutement, évaluation, surveillance, sanctions, licenciement…]) et que les changements sont mis en œuvre de manière transparente et équitable si possible en associant directement les salariés pour qu’ils soient acteurs en toute connaissance de cause.

Les précisions apportées par la Cour de cassation en 2025

En 2025, la Cour de cassation a clarifié les modalités de calcul de cette garantie, notamment en l’absence d’accord collectif. Désormais, les informations issues des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) peuvent servir de référence pour déterminer l’évolution de la rémunération des représentants du personnel, même lorsqu’ils sont seuls dans leur catégorie professionnelle.

Dans la suite de cet article, nous détaillons les dispositions légales et les précisions des juges afin de vous aider à vérifier la conformité de votre entreprise à ces exigences et garantir une équité salariale entre élus, mandatés et autres salariés.

Le CSE peut recourir à un expert

Le CSE peut faire appel à un expert habilité pour l’assister dans cette consultation (article L.2315-94 2° du Code du travail). Cet expert, rémunéré à 80 % par l’employeur et à 20 % par le CSE, sauf accord collectif ayant prévu des dispositions différentes, peut aider à évaluer l’impact de l’IA sur les conditions de travail et à formuler des recommandations dont les élus pourront se saisir pour les proposer à leur direction.

Une décision marquante : suspension du déploiement d’outils d’IA

Le Tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné à une entreprise de suspendre le déploiement d’outils d’IA jusqu’à ce que le CSE ait rendu son avis. Cette décision pourrait marquer un tournant dans la manière dont les entreprises intègrent l’IA, en insistant sur l’importance du dialogue social préalable à son déploiement.

Les faits

Le CSE d’une entreprise a saisi à plusieurs reprises le juge des référés. Une première fois pour demander l’ouverture d’une consultation sur la mise en œuvre de 5 outils. L’employeur s’exécute… en partie. Les représentants du personnel ont une nouvelle fois recours au juge pour imposer à l’employeur la transmission de documents supplémentaires avec une prolongation du délai de consultation assortie d’une demande de suspension du déploiement des applications d’IA. L’entreprise soutenait quant à elle que les outils étaient encore en phase expérimentale et que la consultation n’était pas nécessaire.

L’ordonnance du tribunal

Le juge indique que le déploiement de ces outils était en « phase pilote, pour certains d’entre eux, depuis plusieurs mois ». Il relève deux mails dans les pièces transmises par le comité : celui du directeur des opérations qui annonce l’ouverture du logiciel Finovox à l’ensemble des collaborateurs ; l’autre de la directrice de la communication qui évoque la formation de ses équipes au logiciel Synthesia.

Le tribunal a conclu que la consultation initiée n’était pas achevée et que les outils étaient déjà en phase pilote, utilisés par une partie des salariés. Cette situation constituait un trouble manifestement illicite, et le tribunal a ordonné la suspension du projet jusqu’à la clôture de la consultation, assortie d’une astreinte de 1 000 € par infraction constatée.

Quels enseignements en tirer ?

Cette décision souligne l’importance de la consultation du CSE dès les premières phases d’introduction de l’IA, même s’il ne s’agit que d’une phase « pilote ». Elle pourrait encourager d’autres CSE à demander des consultations plus rigoureuses et à faire valoir leurs droits en cas de non-respect des procédures.

Un message clair aux employeurs

Les employeurs doivent comprendre que l’introduction de l’IA ne peut se faire sans une consultation préalable du CSE. Ignorer cette obligation peut entraîner des sanctions civiles et pénales avec des conséquences financières et la suspension des projets.

Une affirmation du rôle consultatif du CSE

Pour vous représentants du personnel, cette décision renforce votre rôle dans le processus de transformation numérique. Vous pouvez (devez ?) être proactifs dans la demande d’informations et ne pas hésiter à prévoir l’utilisation d’experts pour évaluer l’impact de l’IA sur les effectifs et les conditions de travail et être les garants du maintien de l’humain dans les relations de travail, du contrôle par l’humain des machines aussi technologiques soient-elles.

Le CSE est le garant dans l’entreprise du respect par l’employeur de son obligation de sécurité et de santé pour les salariés ; Pour rappel, l’article L.4121-1 du Code du travail prévoit que « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs…L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

L’article L.4121-2 poursuit : « L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;… »

L’intégration de l’IA en entreprise est un processus complexe qui nécessite un dialogue social renforcé. En tant que représentant du personnel, il est essentiel de comprendre vos droits et de les faire valoir pour garantir une transition juste et transparente vers des utilisations de l’IA amenées à se développer.

Nous attirons cependant votre attention sur le fait que nous ne savons pas si l’employeur a fait appel pour contester l’ordonnance de référé. L’avocat de la direction pourrait soutenir que la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt n° 16-27.866 du 12 avril 2018, que l’introduction d’un programme informatique (“Watson”) aidant les chargés de clientèle à trier leurs nombreux mails ne justifiait pas la consultation du CHSCT, les conséquences sur les conditions de travail n’étant pas considérées comme importantes. Mais les hauts magistrats pourraient faire évoluer leur position au regard des possibilités ouvertes par l’intelligence artificielle et de leur impact sur les emplois, métiers, compétences et conditions de travail des salariés…

Les autres moyens d’action à disposition du CSE

Vous pouvez également vous saisir de ce sujet dans le cadre de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques qui doit avoir lieu chaque année sauf si un accord collectif prévoit des modalités particulières. Cette consultation vise à échanger avec l’employeur sur les perspectives de développement de l’activité de l’entreprise sur les 3 prochaines années et les conséquences sociales associées. Nul doute que dans les objectifs poursuivis, chaque entreprise réfléchit aux possibilités d’utilisation de l’IA pour accroître sa productivité et sa rentabilité. A vous élus de demander à vos directions de vous présenter les objectifs poursuivis, les impacts financiers et sociaux envisagés pour prévoir les nécessaires accompagnements à mettre en place pour les salariés concernés. Les élus peuvent aussi demander à la direction de réfléchir aux critères de sélection de la/des solution/s retenue/s entre toutes les IA qui existent à ce jour : critères sociaux, éthiques, réglementaires, et environnementaux … en encourageant un usage sobre de l’IA, pour limiter l’empreinte environnementale de son utilisation dont on sait qu’elle est énergivore et extrêmement dangereusement consommatrice d’eau…

Vous pouvez également demander une consultation sur l’actualisation des risques professionnels (RPS liés à une surveillance accrue, une augmentation de la productivité, de l’intensité du travail, perte d’autonomie, risque de déshumanisation…) liés à l’utilisation de l’IA à faire figurer et à évaluer dans le DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) pour ensuite proposer des actions de prévention dans le PAPRIPACT (Programme Annuel de Prévention des Risques Professionnels et d’Amélioration des Conditions de Travail).

Bon à savoir :

Dans son avis “Pour une intelligence artificielle au service de l’intérêt général” du 14 janvier 2025 (https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2025/2025_02_IA.pdf), le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) appelle les organisations syndicales et patronales à négocier un accord national interprofessionnel (ANI) sur le déploiement de l’IA en entreprise et à surveiller, adapter ses effets sur les conditions de travail.

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